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Requête au Sénat de Justin

1. A l'empereur Titus Elius Adrien Antonin, Pieux, Auguste César; à Verissime son fils, philosophe, et à Lucius, philosophe, fils de César par la nature et de l'empereur par adoption; au sacré sénat; et à tout le peuple romain; pour ces hommes de toute race, injustement haïs et persécutés, moi, l'un d'eux, Justin, fils de Priscus, fils de Bacchius, de la nouvelle Flavie en Syrie, Palestine, j'ai écrit et présenté la requête suivante.  

2. C'est pour tous ceux qui sont réellement pieux et sages un devoir commandé par la raison, de chérir et d'honorer exclusivement la vérité, en renonçant à suivre les opinions anciennes si elles s'en écartent. Car non seulement cette loi de la raison ordonne de fuir ceux qui font et enseignent le mal, mais il faut encore que l'ami de la vérité s'attache, fût-ce même au péril de sa vie et y trouvât-il danger de mort, à strictement observer la justice dans ses paroles et dans ses actions. Or, vous tous qui vous entendez partout appeler pieux et sages, gardiens de la justice et amis de la science, il va être prouvé si vous l'êtes en effet. Car nous n'avons pas composé cet écrit pour vous flatter ni pour gagner vos bonnes grâces: nous venons pour vous demander d'être jugés d'après les préceptes de la saine raison, et pour empêcher aussi qu'entraînés par la prévention, par trop de condescendance aux superstitions des hommes, par un mouvement irréfléchi, par de perfides rumeurs que le temps a fortifiées, vous n'alliez porter une sentence contre vous-mêmes. Car tant que l'on ne nous convaincra pas d'être des malfaiteurs et des méchants, on ne pourra pas nous faire de mal. Vous, vous pouvez nous tuer, mais nous nuire, jamais.

3. Et pour que ces paroles ne vous semblent ni téméraires ni déraisonnables, nous vous supplions de rechercher les crimes dont on nous accuse. S'ils sont prouvés, que l'on nous punisse comme cela est juste: que l'on nous punisse même avec plus de sévérité. Mais aussi, si vous ne trouvez rien à nous reprocher, la saine raison ne s'oppose-t-elle pas à ce que, sur des bruits calomnieux, vous persécutiez des innocents, ou plutôt à ce que vous ne vous fassiez tort à vous-mêmes, en suivant moins les inspirations de l'équité que celles de la passion? Tout homme sensé conviendra que la plus belle garantie et la condition essentielle de la justice est, d'une part, pour les sujets, la faculté de prouver l'innocence de leurs paroles et de leurs actions, et, d'autre part, pour les gouvernants, cette droiture qui leur fait rendre leurs sentences dans un esprit de piété et de sagesse, et non pas de violence et de tyrannie. Alors souverains et sujets jouissent d'un vrai bonheur. Car un ancien l'a dit: «Si les princes et les peuples ne sont pas philosophes, il est impossible que les états soient heureux.» Ainsi donc c'est à nous d'exposer aux yeux de tous notre vie et notre doctrine, pour qu'à tous ceux qui peuvent ignorer nos préceptes, nous leur fassions connaître les châtiments que, sans s'en douter, ils encourent par leur aveuglement: et c'est à vous de nous écouter avec attention, comme la raison vous l'ordonne, et de nous juger ensuite avec impartialité. Car, si en pleine connaissance de cause, vous ne nous rendiez pas justice, quelle excuse vous resterait-il devant Dieu?

4. Ce n'est pas sur le simple énoncé du nom et abstraction faite des actions qui s'y rattachent que l'on peut discerner le bien ou le mal. Car, à ne considérer que ce nom qui nous accuse, nous sommes irréprochables. Mais, comme, au cas ou nous serions coupables, nous tiendrions pour injuste de devoir à un nom seul notre absolution, de même, s'il est prouvé que notre conduite n'est pas plus coupable que notre nom, votre devoir est de faire tous vos efforts pour empêcher qu'en persécutant injustement des innocents, vous ne fassiez affront à la justice. Le nom seul en effet ne peut raisonnablement pas être un titre à la louange ou au blâme, s'il n'y a d'ailleurs dans les actes rien de louable ou de criminel. Les accusés ordinaires qui paraissent devant vous, vous ne les frappez qu'après les avoir convaincus: et nous, notre nom suffit pour nous condamner. Et pourtant, à ne considérer que le nom, vous devriez bien plutôt sévir contre nos accusateurs. Nous sommes chrétiens: voilà pourquoi l'on nous accuse: il est pourtant injuste de persécuter la vertu. Que si quelqu'un de nous vient à renier sa qualité et à dire: Non, je ne suis pas chrétien, vous le renvoyez comme n'ayant rien trouvé de coupable en lui: qu'il confesse, au contraire, courageusement sa foi, cet aveu seul le fait traîner au supplice, tandis qu'il faudrait examiner et la vie du confesseur et la vie du renégat, et les juger chacun selon leurs oeuvres. Car, si ceux qui ont appris du Christ leur maître à ne pas se parjurer donnent par leur fermeté dans les interrogatoires le plus persuasif exemple et la plus puissante exhortation, ceux-là aussi qui vivent dans l'iniquité fournissent peut-être un prétexte à toutes les accusations d'impiété et d'injustice que l'on intente aux chrétiens; mais ce n'est certes pas là de l'équité. En effet, parmi tous ceux qui se parent du nom et du manteau de philosophes, il en est beaucoup aussi qui ne font rien de digne de ce titre, et vous n'ignorez pas que, malgré la plus complète contradiction dans leurs idées et leurs doctrines, les maîtres anciens ont tous été compris sous la dénomination unique de philosophes. Quelques-uns d'entre eux ont enseigné l'athéisme. Dans leurs chants, vos poètes célèbrent les incestes de Jupiter avec ses enfants. Et à tous ceux qui donnent de pareilles leçons, vous ne leur fermez pas la bouche: que dis-je? Pour prix de leurs pompeuses insultes, vous les comblez d'honneurs et de récompenses!

5. Pourquoi donc tant de haine contre nous? nous nous déclarons les ennemis du mal et de toutes ces impiétés, et vous n'examinez pas notre cause: loin de là, victimes de votre aveugle emportement, tournant sous le fouet des génies du mal, vous vous inquiétez peu de nous punir au mépris de toute justice. Or écoutez: car il faut que la vérité se fasse jour. Quand autrefois les génies du mal eurent manifesté leur présence en enseignant l'adultère aux femmes, la corruption aux enfants, et en frappant les hommes d'épouvante; alors, sous le coup de cette immense terreur, le monde entier, abdiquant les conseils de la raison, cédant à l'effroi, et aussi ignorant la pernicieuse méchanceté de ces démons, le monde en fit des dieux et les révéra sous le nom qu'ils s'étaient eux- mêmes choisi. Et si, dans la suite, Socrate, avec la puissance et la droiture de sa raison, tenta de dévoiler ces choses et d'arracher les hommes au joug des démons, ceux-ci mirent aussitôt en oeuvre la malignité de leurs adorateurs, et Socrate, accusé d'enseigner le culte de génies nouveaux, fut condamné à mort comme impie et comme athée. Même conduite envers nous. Car ce n'est pas seulement au milieu des Grecs que le Verbe a fait, par l'organe de Socrate, de semblables révélations; il a parlé au milieu des barbares; mais alors il était incarné: il s'était fait homme et s'appelait Jésus-Christ. Et nous, qui avons mis notre foi dans ce Verbe, nous disons que tous ces démons-là, loin d'être bienfaisants, ne sont que de perfides et de détestables génies, puisqu'ils agissent comme ne ferait pas un homme quelque peu jaloux de pratiquer la vertu.

6. De là vient qu'on nous appelle athées. Athées; oui certes, nous le sommes devant de pareils dieux, mais non pas devant le Dieu de vérité, le père de toute justice, de toute pureté, de toute vertu, l'être de perfection infinie. Voici le Dieu que nous adorons, et avec lui son fils qu'il a envoyé et qui nous a instruits, et enfin l'esprit prophétique; après eux, l'armée des bons anges, ses satellites et ses compagnons reçoivent nos hommages. Devant eux nous nous prosternons avec une vraie et juste vénération. Voilà ce culte tel que nous l'avons appris et tel que nous sommes heureux de le transmettre à tous ceux qui sont désireux de s'instruire.



7. On nous dira peut-être: Des chrétiens arrêtés ont été convaincus de crime. Ne vous arrive-t-il pas sans cesse, quand vous avez examiné la conduite d'un accusé, de le condamner? Mais, si vous le condamnez, est-ce parce que d'autres ont été convaincus avant lui? Nous le reconnaissons sans peine, en Grèce la dénomination unique de philosophes s'est étendue à tous ceux qui ont été les bienvenus à y exposer leurs doctrines, toutes contradictoires qu'elles pussent être; de même, parmi les barbares une qualification accusatrice s'est attachée à tous ceux qui se sont mis à pratiquer et à enseigner la sagesse: on les a tous appelés chrétiens. C'est pour cela que nous vous supplions d'examiner les accusations dont on nous accable, afin que, si vous rencontrez un coupable, il soit puni comme coupable et non pas comme chrétien; mais que, si vous trouvez un innocent, il soit absous comme chrétien et comme innocent. Alors, croyez-le bien, nous ne vous demanderons pas de sévir contre nos accusateurs; ils sont assez punis par la conscience de leur perfidie et par leur ignorance de la vérité.

8. Remarquez-le d'ailleurs; c'est uniquement à cause de vous que nous donnons ces explications. Car à vos interrogatoires nous pourrions nous contenter de répondre non; mais nous ne voudrions pas de la vie achetée par un mensonge. Tous nos désirs tendent à cette existence, éternelle, incorruptible, au sein de Dieu le père et le créateur de l'univers; et nous nous hâtons de le confesser hautement, persuadés fermement que ce bonheur est réservé à ceux qui par leurs oeuvres auront témoigné à Dieu leur fidélité à le servir et leur zèle ardent à conquérir cette céleste demeure, inaccessible au mal et au péché. Voilà en peu de mots quelles sont nos espérances, les leçons que nous avons reçues du Christ et les préceptes que nous enseignons. Platon a dit de Rhadamanthe et de Minos que les méchant étaient traduits à leur tribunal et y recevaient leur châtiment: nous, nous disons cela du Christ; mais, selon nous, le jugement frappera les coupables en corps et en âme, et le supplice durera, non pas seulement une période de mille années, comme le disait Platon, mais l'éternité tout entière. Que si cela paraît incroyable, impossible, nous répondrons que c'est la tout au plus une erreur sans conséquence dangereuse, et qu'il n'y a pas là matière au plus léger reproche.

"Nous vous montrerons aussi que nous adorons justement celui qui nous a enseigné toutes choses, et qui a été engendré pour cela, Jésus-Christ ... en qui nous voyons le Fils du vrai Dieu, et que nous mettons au second rang et en troisième lieu, l'Esprit prophétique. Quelle folie, nous dit-on, de mettre à la seconde place après le Dieu immuable, éternel, créateur de toutes choses, un homme crucifié. C'est un mystère que l'on ignore. Nous allons vous l'expliquer; veuillez nous suivre..." 1:13

"Nous croyons au Dieu très vrai, Père de la justice, de la sagesse et des autres vertus, en qui ne se mélange rien de mal. Avec lui nous vénérons, nous adorons, nous honorons en esprit et en vérité le Fils venu d'auprès de lui, qui nous a donné ces enseignements..." 1:6

"C'est la Parole qui vous le déclare, le prince le plus puissant et le plus juste après Dieu qui l'a engendré..." 1:10

"La Parole, le premier-né de Dieu, Jésus-Christ notre maître, a été engendré sans opération charnelle. Lui, la Parole de Dieu est né de Dieu, par un mode particulier de génération contairement à la loi ordinaire. Jésus-Christ seul est proprement le Fils de Dieu, sa Parole, son premier-né, sa puissance, et il s'est fait homme par sa volonté pour nous apporter une doctrine destinée à renouveler et à régénérer le genre humain." 1:21-23





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Témoignage sur Justin Martyr

Parmi les chrétiens qui souffrirent le martyre à Rome sous l'empereur Marc-Aurèle, on peut mentionner Justin, surnommé Martyr. Son histoire est d'autant plus édifiante qu'il avait été, comme l'empereur lui-même, un philosophe et s'était opposé à l'évangile comme tant d'autres tenants de la sagesse humaine, ennemis de Christ et de la croix. 



Justin était né de parents païens, à Néapolis, ville de Samarie, bâtie sur l'emplacement de l'ancienne Sichem. Il raconte lui-même comment, dans sa jeunesse, désirant ardemment connaître la vérité, il avait fréquenté toutes les écoles de philosophie du monde gréco-romain, étudiant avec soin les systèmes des sages de ce monde, sans rien trouver qui satisfît son âme et répondît à ses besoins spirituels. 

Un jour, au cours d'une promenade au bord de la mer, il rencontra un vieillard d'aspect vénérable qui entra en conversation avec lui. Justin s'ouvrit à cet inconnu, qui avait gagné sa confiance. Il lui dit son ardent désir de trouver Dieu, et tout ce qu'il avait fait pour y arriver mais en vain. 

Le vieillard lui répondit qu'en effet tous les enseignements des philosophes ne pouvaient l'amener à la connaissance de Dieu et à la possession de la paix à laquelle il aspirait, car, dit l'apôtre Paul, "le monde, par la sagesse, n'a pas connu Dieu". Puis le vieillard parla à Justin de la révélation que Dieu avait donnée aux hommes par les écrits des prophètes et les évangiles, et le pressa de les lire attentivement. "Priez", ajouta-t-il, "pour que les portes de la lumière vous soient ouvertes, parce que les Ecritures ne peuvent être comprises qu'avec l'aide de Dieu et de son Fils Jésus Christ". 

Le vieillard s'éloigna et Justin ne le revit plus. Mais il suivit ses conseils. Il lut et médita les Ecritures ; il pria, et Dieu répondit à ses requêtes. Il trouva la lumière et la paix en Jésus Christ. Une fois converti, il devint un ardent défenseur du christianisme. Plein de zèle pour la vérité qu'il avait saisie, et qui remplissait et réjouissait son coeur, il se mit à voyager, toujours vêtu de sa robe de philosophe, en Egypte et en Asie, annonçant l'évangile à tous ceux qui voulaient l'entendre. 

Justin se fixa enfin à Rome et continua d'y enseigner. Il cherchait à se mettre en rapport avec les philosophes, dans le désir de leur faire connaître la vérité. Mais l'un d'eux, nommé Crescent, irrité de ce que Justin l'avait réduit au silence au cours d'une discussion, le dénonça comme chrétien. Justin, avec six autres, parmi lesquels une femme, comparut devant le préfet de Rome, Ructicus. Celui-ci, voyant Justin revêtu de sa robe de philosophe, lui demanda quelles doctrines il professait. 

J'ai cherché à acquérir toutes sortes de connaissances, répondit Justin ; j'ai étudié dans toutes les écoles de philosophie, et je me suis enfin arrêté à la seule vraie doctrine, celle des chrétiens, de ces hommes méprisés par tous ceux qui sont dans l'aveuglement et l'erreur. 

- Comment, misérable, tu suis cette doctrine ? s'écria le préfet. 

- Oui, et c'est avec joie ; car je sais qu'elle est vraie. 

Interrogé ensuite sur les lieux où les chrétiens se réunissaient, il répondit qu'ils s'assemblaient où ils pouvaient, non pas tous en un même lieu, "car le Dieu invisible remplit les cieux et la terre, et est adoré et glorifié partout par les fidèles". 

Le préfet l'ayant menacé de mort s'il persistait dans sa conviction, le témoin de Christ répondit : "Tu peux me faire souffrir ; je n'en resterai pas moins en possession de la grâce qui assure le salut, partage de tous ceux qui sont à Christ". 

- Tu crois donc aller au ciel ? 

- Non seulement je le crois, mais je le sais. 

Telle fut la réponse pleine d'assurance du philosophe qui, après avoir été si longtemps ballotté par tout vent de doctrine humaine, avait enfin trouvé pour son âme une ancre sûre et ferme, une espérance qui ne confond point. 

Le préfet s'efforça alors de persuader Justin et ses compagnons de "sacrifier aux idoles". 

Nul homme sain d'esprit, répondit Justin, n'abandonnera une certitude divine pour se vouer à l'erreur et à l'impiété. 

- Sacrifiez, ou vous serez condamnées sans miséricorde. 

- Je ne désire que souffrir pour le nom de Jésus, mon Sauveur, devant le tribunal duquel je paraîtrai avec confiance. Sachez que le monde entier doit comparaître devant Lui un jour. 

Et les six compagnons du martyr confirmèrent ses paroles : "Faites ce que vous voudrez", dirent-ils ; "nous sommes chrétiens et ne pouvons sacrifier". 

Le préfet alors prononça la sentence : "Ceux qui refusent de sacrifier aux dieux et d'obéir aux édits de l'empereur qui l'ordonnent, seront battus de verges, puis décapités". 

Les martyrs se réjouirent et louèrent Dieu d'avoir été trouvés dignes de souffrir et de mourir pour Christ. Après avoir été fouettés, ils eurent la tête tranchée. Ils attendent maintenant auprès du Seigneur la "récompense" : la couronne de justice et la couronne de gloire.

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